Vous êtes tranquillement assoupie au volant de votre petite voiture, profitant de la longueur du feu rouge pour planifier vos prochaines vacances (vous savez, dans onze mois…). Docilement conditionnée par une lueur verte devant vous, vous démarrez doucement, lorsque soudain un coup violent est frappé contre la vitre, sur votre gauche. Vous sursautez en apercevant une tête hirsute, version masque de film d’horreur, gesticuler sur ce que vous devinez être un vélo.
Vos neurones bousculés dans leur routine matinale analysent péniblement la situation et tentent de comprendre ce que veut le clown grimaçant. Voyons. Vous êtes dans la présélection de droite, celle pour aller tout droit, avec une rangée de deux-roues sur votre droite. Et à votre gauche, la présélection, c’est celle pour tourner à gauche (pas besoin d’avoir fait polytechnique hein, étant donné la taille des flèches peintes sur le sol). Jusque là, tout va bien. Vous avancez prudemment, avec quelques soubresauts involontaires dûs aux coups de pied dans l’arrière-train de votre voiture distribués par le vélocipède fou, ce qui lui permet au passage de couper élégamment la route au véhicule situé derrière vous, tout en abreuvant la populace d’injures accompagnées d’une gestuelle très explicite.
Cela aurait pu – et dû – en rester là, mais il était écrit que vous auriez ce jour votre lot d’émotions fortes. Le fou du vélo a donc pédalé tout son saoûl pour vous suivre dans le parking de votre entreprise, situé non loin de là. Au moment où vous vous apprêtez à vous extirper de votre siège, le voilà qui vous claque la portière sur le bras et la jambe gauches, fort heureusement dotés d’une couche de graisse capable d’amortir les choc et de n’y laisser qu’un hématome, avant de bloquer la portière en vociférant de plus belle et en menaçant de vous frapper. Par chance la vitre était remontée ou vous auriez regretté d’avoir pris une douche avant de venir.
Vous évaluez vos chances de sortir du véhicule discrètement par la fenêtre – minces, contrairement à vous, et peu digne. Finalement, sous les invectives les plus originales, que la décence vous interdit de reproduire ici, et les menaces de violence répétées, vous parvenez calmement à forcer un passage (l’énergumène a vraisemblablement mal calculé la pression d’un poids tel que le vôtre sur une portière de voiture). Vous n’arrivez toutefois pas à éviter les postillons issus des éructations continues qui animent le parking malheureusement désert (voilà ce que c’est que d’arriver en retard).
C’est que l’animal commence à vous chauffer les sangs, à vous aussi. Vous le toisez et lui faites remarquer froidement qu’il est toujours déplacé de hurler, particulièrement quand on circule mal, qu’on coupe la route et qu’on roule sans casque. Ce discours pourtant brillant (comment ça, non ?) n’est pas particulièrement bien reçu, et les vitupérations augmentent de plus belle. « Pétaaaaaaaaaasse », hurle l’enragé écumant, « je fais ce que je veux ». « Certainement », répondez-vous prudemment tout en vous esquivant subrepticement vers la sortie en songeant qu’un casque pourrait pourtant avantageusement protéger ce qui reste d’un cerveau manifestement déjà fêlé.
Vous n’avez toujours pas comrpis ce que vous reprochait ce fou du guidon et en êtes encore toute tourneboulée. Vous espérez tout de même avoir aidé ce pauvre homme à épuiser son quota de colère quotidien, ce qui vous donnerait au moins la consolation d’avoir fait œuvre de salubrité publique.