Théâtre off
Aujourd’hui, c’est congé, il fait beau, et votre marmaille a décidé de faire profiter les flâneurs de ses talents de comédiens. Sur la place du village, juste en face d’une terrasse bondée et du marché, vous avez l’ineffable bonheur d’assister en direct à une représentation inédite de Blanche-Neige, revisitée de concert par Monette, Petit Garçon, Petite Bébée et une quatrième mousquetaire joliment prénommée Neixa.
« Hin hin », ricane Monette avec un air machiavélique, « prends donc cette belle pomme rouge ma jolie » (une belle pomme, en effet, déjà largement entamée par des petites dents; manifestement l’accessoiriste n’est pas très regardant sur le matériel).
Neixa prend la pomme, mord à pleines dents et s’écroule dramatiquement sur le sol avec sa robe rose en poussant des râles d’agonie, tout en mastiquant consciencieusement.
« Bon », décide Monette, « il faut un prince charmant maintenant. Darwin, embrasse Neixa ».
Darwin observe la scène d’un air dégoûté et refuse tout net.
« Alors je vais le faire » soupire votre actrice-metteuse-en-scène-accessoiriste en s’exécutant pour les besoins du scénario, tandis que Petit Garçon, ne voulant soudain pas être en reste, réclame avec véhémence la place de prince charmant qui lui revient.
« A toi », ordonne la princesse réveillée à Darwin. « On va dire que tu serais Blanc-Nain » (logique, Darwin mesurant au bas mot une à deux têtes de plus que les autres acteurs).
Bon prince, Darwin engloutit un bon tiers de ce qui reste de la pomme et se couche nonchalamment sur un banc. Il est aussitôt assailli par trois soupirantes qui se précipitent pour le tirer de son sommeil éternel à coups de gros bisous mouillés.
S’ensuivent la sortie de scène de Petite Bébée, outrée par cette concurrence déloyale, et la fuite du prince qui vient d’opter pour un célibat à vie en s’essuyant les joues.
La pièce atteint inéluctablement son point de chute avec le départ contraint de l’une des deux actrices restantes (les initiatives maternelles, c’est connu, tombent toujours au mauvais moment).
Après ce franc succès, le festival d’Avignon n’a plus qu’à bien se tenir.